EN 2 MOTS - Il faut neuf mois pour faire un vivant mais combien de temps pour faire un disparu ?  Voici un hymne à la « matchographie », à la « butographie » de  Maradona, l’un des plus grands artistes du XXe siècle avec Picasso et la Callas. Un exercice d'admiration pour le football de rue, non formaté et surtout sans vidéo surveillance. Bernard Morlino s’adresse au furioclase (surdoué) dans un soliloque qui refuse le deuil : la littérature sert à raconter l’impossible. Le virtuose argentin -drogué et non pas dopé- fut un authentique maître à jouer de l’accord parfait du pied avec la terre. Un maestro de l’instant, magicien du réel. Au lieu de vivre sur sa renommée planétaire, le créateur fut un maudit qui brûla sa vie, hanté par la disparition de ses parents qu’il aurait toujours voulu garder auprès de lui. Maradona est mort le 25 novembre 2020 mais ce qu’a réalisé « El D10S » ne peut pas disparaître, surtout après tant de miracles accomplis sur le terrain du jeu et des plaisirs. Légendaire, le véritable insoumis reste une référence inimitable, et non pas un exemple. Le génie n’est pas contagieux. L’amour pour Maradona ne rend pas aveugle : il nous ouvre les yeux.




EXTRAIT - Dès ton plus jeune âge, tu fus désigné bête de cirque. Souvent, avant le match des adultes, on t'installait dans le rond central pour une séance de jonglage. Attraction terrestre, tout gravitait autour de toi. Te voir caresser le ballon était l’assurance d’applaudir un magicien. Tu jonglais du talon gauche, plusieurs fois de suite sans jamais faire tomber le ballon au sol, que tu stabilisais alors sur le bas du dos, à hauteur des reins. S'en suivaient des petits rebonds sur le front, en marchant en rond. Puis tu reposais le ballon à terre pour le soulever de nouveau et le faire passer derrière toi. Jongler, c’était faire tes gammes. Des vocalises avec la balle, que tu envoyais avec un effet sur la gauche, afin qu’elle revienne d’elle-même vers toi. Pionnier du football freestyle qui conjugue la jonglerie, la danse et la gymnastique. Le féérique lever de rideau faisait davantage parler que le match du jour. La grâce était de sortie.
     Professionnel, tu te reconnectais avec ton enfance lors des échauffements. Mercredi 19 avril 1989 : avant la demi-finale retour de la Coupe de l'UEFA, Bayern Munich-Naples (2-2), tu jonglas pendant de longues minutes. Lacets défaits, tu dorlotas la sphère, lui faisant faire tout ce que tu voulais. Tu l’envoyas en l’air avec les pieds, la tête et les épaules. Les spectateurs allemands furent médusés devant ton exercice solo de haute voltige. Ta démonstration arrivait après la victoire 2-0 du match aller. Le mois suivant, tu remportas la Coupe UEFA contre Stuttgart, l’unique titre européen de Naples. Tu savais faire le spectacle avec une orange, une balle de ping-pong ou de golf, un sucre, une bouteille d’eau en plastique et même une boulette de papier chiffonné. Dans les vestiaires, on t'a vu jongler avec un rouleau de sparadrap, et même une serviette éponge pleine d’eau.
     Tes prestations furent des ex-voto offerts à l’Argentine et à Naples. Ton souvenir est bien plus fort que nombre de joueurs en activité qui errent sans but. Tu as marqué ton temps, puissant dans le sentiment. Buteur racé, tes métatarses reliés à ta matière grise enchantaient le public. Tes fidèles. Croyants ou pratiquants.